José Antonio Egido
La chef de l'opposition vénézuélienne Maria Corina Machado remporte le prix Nobel de la paix 2025 (AFP)
Mais le cas personnel de Mme Maria Corina Machado est unique.
Depuis plus d'un siècle, l'Amérique latine et les Caraïbes sont le théâtre de luttes acharnées entre les peuples en quête de justice sociale et des élites économiques et politiques déterminées à préserver leurs privilèges. Derrière les coups d'État, les répressions sanglantes et les ingérences étrangères, se dessine une constante : la mainmise d'une oligarchie locale, souvent soutenue par les puissances occidentales, sur les leviers du pouvoir.
Maria Corina Machado s'est empressé de dédié son prix à Donald Trump
Ce texte explore cette dynamique à travers l'exemple du Venezuela, où l'oligarchie, rompant avec les méthodes traditionnelles, a pris elle-même la tête de la contre-révolution contre le chavisme, incarnée notamment par María Corina Machado.
D'une manière générale, en Amérique latine et dans les Caraïbes, les « sales besognes » nécessaires à la préservation de la domination politique et sociale de la classe dirigeante - une oligarchie héritée du féodalisme espagnol et portugais - sont confiées à ses agents : politiciens, avocats, militaires ou policiers, souvent formés dans des institutions américaines.
Par « sales besognes », on entend :
- les coups d'État sanglants ayant causé des centaines, voire des milliers de morts (Chili, Bolivie, Pérou, Argentine, Brésil, Uruguay) ;
- la torture, les assassinats et les disparitions de paysans, prêtres engagés et étudiants (Colombie, Pérou, Argentine) ;
- l'élimination de dirigeants populaires fidèles au peuple (Chili, Équateur, Brésil, Nicaragua, etc.).
Ces actes ont été perpétrés par des figures telles que Pinochet, Videla, Banzer, Massera, Fujimori, Stroessner, Bordaberry, Pérez Jiménez, Carlos Andrés Pérez, Somoza, Landazabal, Trujillo, entre autres - qu'ils soient « démocrates » ou dictateurs, tous soumis à Washington, aux grands propriétaires fonciers et aux banquiers locaux.
Au Venezuela, cependant, après la chute du régime néocolonial de la Quatrième République en 1999, l'oligarchie pétrolière, financière et foncière a choisi de mener elle-même la contre-offensive contre la Révolution bolivarienne. Contrairement aux schémas traditionnels, elle ne s'est pas appuyée sur l'armée, le clergé ou la police.
Une nouvelle génération de fils et filles de millionnaires, devenus putschistes d'extrême droite, s'est révélée lors de la tentative d'assassinat du président Chávez en avril 2002 - une opération menée avec le soutien de la CIA et de l'administration Bush. Cette génération inclut les Machado, López Mendoza, Zuloaga, Borges, Capriles, Rommer, Sosa, Toro... héritiers des anciennes dynasties du cacao, des haciendas esclavagistes, puis du pétrole, de l'acier et du fer.
La figure la plus tenace et radicale de ce groupe est María Corina Machado, étroitement liée aux services de renseignement américains et britanniques. Fait paradoxal : l'un de ses oncles fut un guérillero communiste dans les années 1960. Elle assista à ses funérailles avec respect, mais sans jamais partager ses convictions.
Machado a soutenu le coup d'État de 2002 contre Chávez, reçu des financements du gouvernement américain pour manipuler les résultats d'un référendum, et encouragé des insurrections violentes ayant causé des centaines de morts et de blessés.
Pendant des années, elle a plaidé pour une intervention militaire américaine afin d'écarter du pouvoir les descendants d'esclaves, d'indigènes et de pauvres - les « bruns » et les « rouges » - et installer une junte issue des « Maîtres de la Vallée », selon l'expression de Francisco Herrera Luque. Autrement dit, les héritiers des propriétaires d'esclaves, incapables d'imaginer un monde sans leur soumission au pouvoir de Washington. Elle est même allée jusqu'à solliciter l'aide de Benjamin Netanyahu pour renverser Maduro.
Maria Corina Machado a sollicité l'aide de Benjamin Netanyahu pour renverser Maduro
Michelle Ellner, membre américano-vénézuélienne du groupe militant Code Pink a déclaré « Si c'est cela qui compte comme « paix » en 2025, alors le prix lui-même a perdu toute crédibilité ».
En honorant María Corina Machado, l'Académie norvégienne ne célèbre pas une figure démocratique, mais une héritière d'une tradition oligarchique profondément enracinée dans l'histoire coloniale et esclavagiste du Venezuela.
Cette reconnaissance revient à légitimer une vision du monde où les intérêts des puissances étrangères priment sur la souveraineté des peuples, et où les élites méprisent les aspirations des métis, des indigènes et des classes populaires.
En soutenant les plans d'intervention militaire de dirigeants comme Trump ou Netanyahu, Machado incarne une politique de domination et de violence, bien éloignée des idéaux de paix et de justice que ce prix est censé promouvoir.
Ce geste, loin d'être neutre, constitue une insulte à la mémoire des victimes de l'ingérence et de la répression, et à tous ceux qui luttent pour un Venezuela libre, égalitaire et souverain.
Maria Corina Machado est favorable au déplacement de l'ambassade du Venezuela à Jérusalem pour soutenir Israël
Parmi les autres lauréats du prix Nobel de la paix figurent l'ancien président américain Barack Obama, responsable de dizaines d'attaques de drones meurtrières en Asie occidentale et en Afrique, ainsi que de l'armement et du financement d'Al-Qaïda en Syrie.
Des politiciens israéliens responsables de crimes de guerre contre les Palestiniens et les Libanais - dont Menahem Begin et Yitzhak Rabin - ont également remporté le prix.
En outre, Henry Kissinger, ancien secrétaire d'État américain responsable du meurtre de civils à travers le monde, a reçu le prix Nobel en 1973.